27

Laura Hayward, les yeux rivés sur l’écran de son ordinateur, sursauta en entendant toquer au verre dépoli de sa porte de bureau. L’espace d’un instant, elle eut bêtement la tentation de penser que D’Agosta allait pénétrer dans la pièce, une valise à la main, prêt à rentrer au bercail. Il ne s’agissait que de la femme de ménage guatémaltèque, armée d’un seau et d’une serpillière.

— Pas problème si je fais lavage ? demanda-t-elle avec un petit sourire.

— Je vous en prie,

Hayward recula son siège à roulettes d’un mouvement de hanche afin de laisser l’autre vider la poubelle, et son regard se posa sur la pendule : presque 2h30 du matin. Elle qui voulait se coucher tôt, c’était raté. À dire vrai, elle aurait donné n’importe quoi pour ne pas se retrouver toute seule dans cet appartement qui lui paraissait désespérément vide.

Elle attendit que la femme de ménage ait terminé et reprit place devant son écran, à la recherche d’informations dans la banque de données de la police fédérale. Une ultime vérification, elle avait déjà tout ce dont elle avait besoin. Pour l’instant.

Son bureau, encombré en temps normal, ressemblait à un champ de bataille : des piles de tirages informatiques, des dizaines d’enveloppes kraft, des photos d’identité judiciaire en pagaille, des CD-Roms. des fiches cartonnées et autres faxes relatifs aux diverses enquêtes en cours. Un coin de table avait été réservé à quelques affaires bien spécifiques, à en juger par les trois dossiers soigneusement empilés sur lesquels on pouvait lire : Duchamp, Decker, Hamilton. Trois proches de Pendergast, assassinés à quelques jours d’intervalle. Pouvait-il s’agir d’un simple hasard ?

Pendergast avait disparu lors de son séjour en Italie dans des circonstances pour le moins étranges, à en croire le récit que lui avait fait D’Agosta. Personne ne l’avait vu mort et son corps n’avait jamais été retrouvé. Quelques semaines plus tard, trois de ses amis étaient mystérieusement assassinés, l’un après l’autre. Elle n’avait rien trouvé de suspect dans les affaires qu’elle venait d’éplucher, mais il y en avait peut-être d’autres.

La coïncidence était troublante.

Elle tenta de mettre de l’ordre dans ses idées, pianotant machinalement sur les trois dossiers posés à l’écart. Elle finit par ouvrir celui de Hamilton, prit son téléphone et composa un numéro.

À la dixième sonnerie, quelqu’un décrocha. Comme personne ne disait rien à l’autre bout du fil, Hayward crut un moment que la communication avait été coupée. Au bout d’une éternité, une voix endormie répondit enfin :

— J’espère au moins que quelqu’un est mort...

— Lieutenant Casson ? Capitaine Hayward, du NYPD.

— Je me fous de savoir qui vous êtes. Vous savez un peu l’heure qu’il est à La Nouvelle-Orléans ?

— Une heure de moins qu’à New York. Je suis désolée de vous appeler si tard, mais il s’agit d’une affaire importante. J’aurais quelques questions à vous poser au sujet d’un meurtre commis dans votre juridiction.

— Et ça ne peut pas attendre demain matin ?

— Il s’agit de l’affaire Hamilton. Torrance Hamilton, un universitaire.

L’autre poussa un soupir exaspéré.

— Oui, et alors ?

— Avez-vous des suspects ?

— Non.

— Des pistes ?

— Aucune.

— Des indices ?

— Quasiment rien.

— Mais encore ?

— On a le poison avec lequel on l’a tué.

Hasard se redressa.

— Et alors ?

— Une vraie vacherie. Une neurotoxine comme en sécrètent certaines araignées venimeuses, sauf que celle-là était synthétique et très concentrée. Un poison de luxe qui a fait le bonheur de nos experts.

Hayward coinça le téléphone sous son menton afin de prendre des notes sur son clavier.

— Quel type d’effet a ce poison ?

— Hémorragie cérébrale, atteinte encéphalique, démence soudaine, psychose, épilepsie et mort. Vous n’imaginez pas les progrès que j’ai faits en médecine grâce à cette enquête. Le tout s’est déroulé en plein cours à l’université de Louisiane, devant des dizaines d’étudiants.

— J’imagine la scène.

— Tu parles !

— Comment avez-vous pus isoler le poison ?

— On n’a pas eu besoin de te faire. L’assassin nous en a gentiment laissé un échantillon sur le bureau de Hamilton,

— Quoi ? ! s’exclama Hayward,

— Il est apparemment entré sans se gêner dans le bureau de Hamilton et il l’a déposé sur sa table. Pile pendant que le prof donnait le dernier cours de sa carrière. Le meurtrier avait pris la précaution d’empoisonner son café une heure et demie plus tôt, il se trouvait donc sur place depuis un petit moment. Il a laissé le flacon bien en vue, comme pour envoyer un message. Ou alors il voulait narguer la police. :

— Des suspect ?

— Aucun. Personne n’a été surpris à rôder autour du bureau de Hamilton ce matin-là.

— Ces précisions ont-elles été rendues publiques ? Au sujet du poison, je veux dire.

— On a dit qu’il y avait eu empoisonnement, sans donner de détails.

— D’autres éléments ? Empreintes, traces de pas ou autres ?

— Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les types de l’identité judiciaire récupèrent tout ce qui leur passe entre les mains aux fins d’analyse, mais ils n’ont rien trouvé d’intéressant à un détail près : un cheveu humain avec sa racine, ce qui a permis de nous fournir une empreinte ADN. Le cheveu n’appartenait ni à Hamilton, ni à sa secrétaire, ni à personne sur place. Un cheveu d’une couleur inhabituelle. La secrétaire ne se souvenait pourtant pas avoir vu quelqu’un avec des cheveux comme ça récemment.

— Quelle couleur ?

— Un blond très pâle, presque blanc.

Le cœur de Hayward fit un bond dans sa poitrine.

— Allô ? Vous êtes toujours là ?

— Oui, oui, je suis là, répondit Hayward. Ça vous ennuierait de m’envoyer par fax le rapport d’ADN et la liste des éléments retrouvés sur place ?

— Si vous voulez.

— Je donnerai mon numéro de fax à votre bureau demain à la première heure.

— Pas de problème.

— Une dernière chose. Je suppose que vous avez effectué des recherches sur le passé de Hamilton. Ses proches, ce genre de choses.

— Bien sûr.

— Au cours de vos recherches, êtes-vous tombé sur le nom de Pendergast ?

— Pas à ma connaissance. Vous avez une piste ?

— Peut-être.

— Bon, très bien. Mais la prochaine fois, merci de ne plus m’appeler la nuit. De jour, je suis plus aimable.

— Vous avez été très aimable, lieutenant.

— Sûrement parce que je suis Sudiste. C’est génétique.

Hayward raccrocha et regarda le téléphone sans bouger pendant près de dix minutes. Puis, d’un geste lent et décidé, elle referma le dossier marqué Hamilton, ouvrit celui de Decker et décrocha de nouveau.

[Aloysius Pendergast 06] Danse De Mort
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